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Deux cents ans ! C’est la durée de vie estimée de la baleine boréale (Balaena mysticetus), ce qui en fait le mammifère qui vit le plus longtemps. Pourtant, une grande taille et une longévité importante prédisposent en théorie à davantage de mutations de l’ADN et donc de cancers. Mais l’éléphant d’Afrique (Loxodonta africana) et le cétacé échappent à cette règle : c’est le paradoxe de Peto, qui suggère chez eux l’existence de mécanismes de protection contre ces maladies. Chez l’éléphant, l’évolution a misé sur l’élimination des cellules anormales. En revanche, le mécanisme à l’œuvre chez le mammifère marin demeurait jusqu’ici mal connu. En cultivant des cellules de baleine boréale, une équipe internationale, emmenée notamment par Vera Gorbunova, de l’université de Rochester, aux États-Unis, a démontré sa capacité remarquable à réparer son ADN et donc à minimiser l’apparition de mutations qui prédisposent au cancer.
Grâce aux Inuits alaskains Iñupiat, qui chassent la baleine sur une courte période chaque année, la collaboration a obtenu des cellules de cétacé, mises en culture en laboratoire. Les chercheurs ont découvert qu’elles présentaient un taux de mutation plus faible que leurs homologues humaines. Ce faible taux était dû à une réparation de l’ADN (surtout des cassures double brin) plus efficace et plus fidèle chez le mammifère marin que chez l’humain. Afin d’identifier les mécanismes moléculaires en jeu, les scientifiques ont comparé l’expression de gènes impliqués dans la réparation des cassures double brin entre différentes espèces.
Ils ont mis en évidence une différence marquée de la quantité de plusieurs protéines de réparation. Parmi elles, CIRBP (Cold-inducible RNA binding protein) était très abondante chez la baleine boréale, mais presque indétectable chez l’humain. Artificiellement surexprimée dans des cellules humaines, la protéine CIRBP de cétacé a conduit à une augmentation de la fréquence des réparations ainsi qu’à une réduction des taux de mutations et de réarrangements chromosomiques. Une diminution de la transformation maligne – le passage d’une cellule normale à une cellule cancéreuse – a également été constatée. Les chercheurs ont noté au passage que les cellules exposées à des températures plus basses produisent davantage de CIRBP, mais le lien avec le froid reste mal compris. Enfin, chez la souris, la surexpression de la CIRBP de baleine a retardé le développement de tumeurs et, chez la drosophile, elle a permis une résistance accrue aux dommages de l’ADN.
« La portée de ces travaux est importante », affirme Aline Marnef, chercheuse au Centre de biologie intégrative à Toulouse, qui précise que l’amélioration de la réparation de l’ADN ne faisait pas partie des hypothèses proposées jusqu’ici pour expliquer le paradoxe de Peto, car elle était jugée comme une solution difficile, voire impossible. Avec ses résultats, l’équipe de Vera Gorbunova ouvre la voie à des thérapies, destinées aux personnes présentant une prédisposition génétique élevée au cancer, qui augmenteraient l’activité ou l’abondance de protéines de réparation de l’ADN. Aline Marnef alerte cependant sur le fait que « la mise en pratique pourrait être complexe, car elle nécessitera de considérer l’ensemble des protéines de réparation et de préserver leur équilibre délicat ».
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