Actualité. En France, la commercialisation de Wegovy et Mounjaro a démarré bien plus lentement que dans les pays anglo-saxons, déjouant le pronostic de nombreux observateurs.
Par Stéphanie Benz, avec les infographies de Mathias Penguilly
Publié le 20/12/2025 à 16:00

Le médicament anti-obésité Wegovy.
Ritzau Scanpix via AFP
La folie des traitements anti-obésité s’est bel et bien emparée du Royaume-Uni. Environ 2,5 millions de Britanniques s’injectent déjà ces médicaments, soit un adulte sur 20, dans une population presque équivalente à celle de la France. La commercialisation de ces médicaments avait d’emblée démarré très fort, avec quelque 30 000 patients traités dès le premier mois de commercialisation de Wegovy du laboratoire danois Novo Nordisk, en septembre 2023. Depuis, la courbe est exponentielle : les ventes cumulées de ce produit et de son concurrent Mounjaro, de l’américain Eli Lilly, ont été multipliées par cinq en un an…
En France, rien de tout cela – en tout cas pas pour l’instant. A la fin d’octobre, un an après l’arrivée de ces produits sur le marché français, le nombre total de patients traités avec ces deux médicaments ne dépassait pas les 77 000, selon des données d'Iqvia pour la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France. Si les ventes ont semblé s’accélérer un peu plus en novembre selon des données préliminaires d’Eli Lilly France, on reste pour l’instant encore très loin de la situation britannique. « L’adoption par les patients est plus progressive en France qu'elle ne l'a été dans les autres pays d’Europe », euphémise Etienne Tichit, le PDG de Novo Nordisk en France.
Dans un pays qui compte 10 millions de personnes en situation d’obésité, nombre d’observateurs s’attendaient pourtant à voir les patients se ruer sur les injections - d’autant que Ozempic, qui contient la même molécule que Wegovy mais à des dosages plus faibles pour traiter le diabète, arrivé en premier sur le marché, avait fait l’objet de nombreux détournements et mésusages. Comment s’explique cet apparent paradoxe français ? Et surtout, faut-il s’attendre à voir ces produits plus largement adoptés dans les mois qui viennent ?
Pour les industriels, la réponse est claire : le très fort verrouillage initial du marché par les autorités sanitaires françaises explique largement que les ventes n’aient pas décollé. C’est en effet seulement depuis le mois de juin que les médecins généralistes peuvent prescrire ces molécules. Lors de la mise sur le marché de Wegovy, la prescription a en effet été restreinte aux médecins spécialistes en endocrinologie-diabétologie-nutrition ou compétents en nutrition, pour des patients présentant un indice de masse corporelle supérieur à 35 (soit par exemple 100 kilos pour un 1,7 mètre), âgés de moins de 65 ans, uniquement en cas d’échec d’une prise en charge nutritionnelle bien menée, en association à un régime hypocalorique et à une activité physique. "Il s’agissait de conditions uniques au monde", constate un expert.
La grande prudence des médecins généralistes
Cette grande prudence des autorités sanitaires a pu conforter celle d’une large part des médecins généralistes. "C’est un peu culturel et lié à notre positionnement : nous sommes aussi des régulateurs de la consommation de soins, donc quand un nouveau médicament arrive, nous nous enflammons rarement, même s’il y a bien sûr toujours des exceptions", constate le Dr Paul Frappé, le président du Collège de médecine générale. Les industriels y voient surtout une mauvaise appréciation de la réalité de l’obésité : « Nous avons conscience qu’il reste un important travail d’information et de pédagogie à mener collectivement, notamment auprès des professionnels de santé, pour faire mieux comprendre que l’obésité est une maladie chronique, pour laquelle il existe désormais des traitements », confirme Marcel Lechanteur, le PDG d’Eli Lilly en France. Avec une difficulté spécifique à notre pays : les mauvais souvenirs laissés par les précédentes générations de médicaments utilisés comme coupe-faim, avec notamment le cas du Médiator. "Nous avons ce passif, spécifique à notre pays. Ce scandale reste très présent dans la tête des autorités de santé, des professionnels et du public", rappelait récemment à l’Express le Pr Jean-Michel Oppert, chef du service de nutrition de l’hôpital de La Pitié Salpêtrière à Paris (AP-HP).
L’absence de remboursement peut jouer aussi. "Nous ne sommes pas aux Etats-Unis, où les patients ont l’habitude de payer, y compris pour des médicaments à l’efficacité reconnue. Il s’agit là d’un vrai frein pour de nombreux patients", constate le Dr Paul Frappé, qui y voit aussi l’occasion pour les patients de mener une réflexion approfondie sur la nécessité, ou non, pour eux de démarrer un traitement. "Cela a pu aussi jouer pour limiter l’effet de mode, et le fait de se ruer sur ce produit simplement parce qu’il est disponible", poursuit-il. Ce d’autant plus que les prix des deux médicaments s’avèrent élevés, et très variables selon les pharmacies – de l’ordre de 200 à 300 euros par mois en moyenne. "Beaucoup de patients nous disent que l’alternative c’est : acheter de quoi se nourrir, ou s’offrir ces médicaments. Dans ce cas, le choix est vite fait…", constate Anne-Sophie Joly, la présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO).
Un démarrage trop lent... ou trop rapide ?
La faible consommation de Wegovy et de Mounjaro, non remboursés, pourrait-elle s’expliquer par un mésusage d’Ozempic qui, lui, est pris en charge par la collectivité pour le diabète ? Il contient en effet la même molécule que Wegovy, mais avec un dosage plus faible. Or, 427 000 patients se trouvent aujourd’hui sous traitement – un chiffre en progression régulière ces derniers mois. La Pr Judith Aron-Wisnewsky, spécialiste de la nutrition à l’hôpital de La Pitié Salpêtrière (AP-HP) et présidente du groupement de coordination des centres spécialisés obésité en doute : "Ce mésusage a pu exister, mais des mesures ont été prises par l’ANSM (l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, NDLR)", rappelle-t-elle. En effet, les médecins doivent attester par écrit, et en trois exemplaires, que leurs patients sont bien diabétiques avant de prescrire ce médicament. Une prescription "hors AMM" (c’est-à-dire en dehors de l’indication de diabète) est toujours possible, mais leurs patients ne sont pas remboursés…
Si beaucoup s’étonnent du lent démarrage des ventes de Wegovy et de Mounjaro en France, d’autres ont contraire le trouvent encore beaucoup trop rapide. "Il est bien précisé que ce médicament ne peut être prescrit qu’après six mois d’une prise en charge hygiéno-diététique, avec une alimentation adaptée et de l’activité physique, si celle-ci ne permet pas de faire perdre suffisamment de poids", note la Pr Aron-Wisnewsky. Or, la prescription ayant été ouverte aux médecins généralistes seulement fin juin, le nombre de nouveaux patients n’aurait vraiment dû commencer à progresser qu’à partir de décembre…
Faut-il, dès lors, s’attendre à une véritable accélération dans les prochains mois ? Les industriels y croient, d’autant plus que les décisions concernant le remboursement de ces produits sont attendues en début d’année. Même si, paradoxalement, la population éligible à une prise en charge sera selon toute vraisemblance très limitée – soit aux patients atteints d’obésité particulièrement sévère, ou alors avec des maladies associées. "Beaucoup de patients attendent le remboursement pour commencer un traitement. Quand ils verront qu’ils n’entrent pas dans les critères qui permettront vraisemblablement d’y accéder, la plupart achèteront le médicament à leurs frais", analyse Marcel Lechanteur. Réponse dans les prochains mois.

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