La viticulture française connaît une zone de turbulence, mais porte en elle les germes d’un renouveau prometteur. Si la consommation évolue et les volumes reculent, une dynamique nouvelle se dessine. Les jeunes générations veulent de la transparence, des vins plus légers, et des histoires authentiques. Et la France a un atout incomparable : la diversité de ses terroirs et le savoir-faire de milliers de vignerons qui innovent déjà : Bio, sans soufre, vins doux, sans sucre, faibles degrés, cuvées plus accessibles, œnotourisme repensé, etc. Jusqu’à produire sur notre sol des alcools exotiques comme le saké ! Si la filière continue à s’adapter, à écouter les attentes et à valoriser ses forces, la viticulture française peut rebondir, et redevenir aussi un moteur culturel et économique. Le vin change et l’avenir reste ouvert.
Effervescence, ce vendredi de novembre, dans la petite zone artisanale de Mios, sur le bassin d’Arcachon. Tomoo Oda, Japonais installé en Gironde, inaugure une manufacture d’un genre peu commun : Saké de Bordeaux. "Si le Sud-Ouest est avant tout célèbre pour ses vins, il a connu ces dernières années une forte croissance des brasseries de bières. J’ai pensé qu’un autre alcool de fermentation - que je connais très bien ! – pourrait trouver sa place", explique le dirigeant, installé dans la région depuis 2016. Le projet repose sur un original syncrétisme franco nippon, car si le savoir-faire ancestral provient de son pays d’origine, l’essentiel de la matière première se révèle bien tricolore. Le riz bio arrive de Camargue, tandis que l’eau ajoutée au moment de l’assemblage (80 % du produit final) jaillit d’une source locale. "Du riz, je peux en acheminer de partout, moins de l’eau", remarque Tomoo Oda. Son pari, qui suit celui de la Brasserie Wintherholer, dans la banlieue bordelaise, illustre bien l’attrait que la boisson nationale japonaise suscite auprès des amateurs français. Cet engouement s’inscrit dans une vague internationale. Les exportations de l’Empire du Soleil levant atteignent chaque année des niveaux records, et une part de plus en plus importante de la production – environ 10 % en 2024 – se sirote dorénavant à travers la planète. Alors que la consommation domestique accuse une baisse régulière, les brasseries de l’archipel lorgnent de plus en plus vers des marchés étrangers prometteurs et la France compte parmi les plus dynamiques d’Europe.
Toutes les cartes des belles tablent en proposent
Les salons, ateliers, événements et master class s’y sont multipliés. Cette visibilité accrue a permis au saké d’entrer sur la carte de belles tables (un tiers des macarons Michelin en propose), où il accompagne désormais aussi bien des fromages affinés que des poissons crus ou des plats plus traditionnels. Les importations se sont envolées depuis 2010, soutenues par l’essor de la cuisine japonaise, l’intérêt des chefs étoilés, ainsi que par un travail de pédagogie mené par des sommeliers spécialisés et des importateurs passionnés.
Parmi ceux-ci, Chloé Cazaux Grandpierre, la fondatrice du site de ventes en ligne Otsukimi (Buveurs de lune) et du restaurant Oba, à Bordeaux, vient de remporter le Saké Master, premier concours de dégustation et de service consacré au breuvage japonais en Europe. La jeune femme tient à préciser combien il n’a rien à voir avec l’alcool de riz bon marché qu’offrent en fin de repas certains restaurants asiatiques, dans une tasse au fond décoré d’une femme dénudée. "Dans ces cas-là, il s’agit plutôt de spiritueux chinois ou coréens, précise-t-elle. Saké est un terme générique qui veut dire "alcool blanc" ; ce qu’on désigne en français sous ce même nom est en réalité le nihonshu." Considéré comme "la boisson des dieux" au Japon, ce vin de riz, obtenu par fermentation et non par distillation, se révèle beaucoup moins fort en alcool (15-16 degrés) et riche d’arômes très subtils. "Selon le degré de polissage du riz – l’opération qui consiste à raboter son enveloppe riche en lipides et en protéines – on obtiendra un saké au goût léger ou aux notes profondes. À la dégustation, les grands nihonshu peuvent se rapprocher d’un chablis", poursuit la sommelière.
Une boisson tactile qui se révèle en bouche
A Paris, Youlin Ly accomplit lui aussi un boulot formidable. Cet amoureux du Japon, où il a eu "la chance de vivre plusieurs années", a créé en 2007 le premier izakaya parisien - au nom évocateur : Sakébar. Six ans plus tard il a lancé, le Salon du Saké, qui attire d’entrée 1 400 visiteurs et réunit plus de 185 références. Enfin, la Maison du Saké qu’il a depuis fondée en propose plus de 200. L’infatigable ambassadeur – honoré du titre Saké Samourai par le gouvernement japonais en reconnaissance de ses efforts – se réjouit de la réussite de son breuvage favori au royaume du vin. Youlin insiste sur le caractère raffiné des sakés "modernes" aux accents floraux, apparus dans les années 2000, servis frais dans des verres à vin. Même si, à l’inverse de ce dernier, le saké n’exprime pas d’intensité aromatique. Cette boisson tactile se révèle seulement en bouche. Où, sa concentration en amidon lui permet de libérer cette fameuse cinquième saveur chère aux Japonais : l’umami, signifiant "savoureux". Reste que les épicuriens se montrent naturellement attirés par les nihonshu les plus qualitatifs : junmai, ginjo, daiginjo (voir l’encadré). Ces cuvées, élaborées avec des techniques artisanales, trouvent un écho particulier auprès d’un public habitué aux produits d’exception. La montée en gamme contribue à augmenter la valeur du marché : les consommateurs sont prêts à dépenser davantage pour une bouteille dont le profil aromatique répond aux mêmes exigences que les crus prestigieux.
L’Hexagone en raffole tant que, au-delà des expériences girondines, le saké "made in France" se développe. Des acteurs comme Wakaze utilisent du riz français et des levures adaptées au climat européen pour produire un nihonshu, créatif, parfois plus accessible en prix. Cette production "terroir" contribue à démocratiser la boisson, tout en suscitant une nouvelle curiosité auprès du public.

Eva Green et Hadrien Wolff pratiquant la méthode traditionnelle Kimoto de brassage de saké
© / Jinn Yagi
En parallèle, des Français se lancent dans l’élaboration au Japon même. Tel Richard Geoffroy, l’iconique ancien chef de caves de Dom Pérignon, qui signe aujourd’hui l’une des plus belles références de l’archipel : Iwa. Le mois dernier, encore, l’actrice Eva Green présentait Seiun, un nigori pétillant, qu’elle a élaboré avec son associé et ami d’enfance Hadrien Wolff dans une brasserie bicentenaire, entre Osaka et Kyoto : Kotobuki, dirigé par un maître brasseur compatriote, Guillaume Ozanne. "Le saké m’a toujours intriguée, confie l’actrice. C’est une boisson d’une subtilité extrême, à la fois douce et spirituelle." Finement "perlante", non filtrée, sa cuvée, qui ne titre que 8 degrés, s’apprécie à l’apéritif : "Une levure légèrement connotée sur les agrumes ouvre l’appétit", observe Eva, qui désire, en cas de succès, sortir d’autres références et réfléchie à une production hexagonale.
Chez nous, le marché du saké n’est donc plus une niche. Il représente un véritable phénomène gastronomique, nourri par la curiosité culturelle et une nouvelle génération de brasseurs et de sommeliers. Avec l’essor du saké artisanal local et un intérêt européen en croissance (de 5 à 6 % par an), la France apparaît bien placée pour devenir, d’ici 2030, l’un des principaux carrefours de la culture du saké en dehors du Japon. Kampai !
LES SAKES PREMIUM
Sans entrer dans le détail d’une nomenclature à la complexité extrême, on retiendra que 75 % de la production ne supporte pas de contrainte de taux de polissage du riz et se consomme plutôt chaud, tandis que les 25 % restants regroupent les sakés premium, à servir frais :
Junmai : "le plus "brut" (30 % de taux de polissage), aux arômes de riz prononcés.
Junmai Ginjo : le plus délicat (40 %), aux accents floraux et de pomme verte. Junmai Daiginjo : le plus fin (50 % et moins), et sa touche de fruits exotiques.
D’autres dénominations signalent des particularismes de fabrication ou d’élevage :
Namazake : non pasteurisé. Nigori : non-filtré, robe laiteuse. Happoshu : pétillant. Koshu : vieillissement prolongé (trois ans et plus), à la couleur ambrée et souvent doux.
SELECTION SAKES

6 bouteilles à découvrir
© / SDP
1 Asama Nature (16,5 %)
Un saké nature Elaboré selon la méthode kimoto (nature), ce junmai livre des arômes de groseille et d’amande blanches. 33,90 €(1).
2 Maison Hiraizumi Hiten Hakucho (14 %)
Marqué par sa subtile acidité naturelle ce junmai ginjo joue sur la fraîcheur. 36,90 €(1).
3 Honda Shoten Genmyo Kanmitsu 10 ans (14 %)
Vintage longuement maturé en cuve. Belle couleur ambrée et douceur en bouche. 51 €(1).
4 Ine To Agave Hanakaze Itinéraires (14 %)
Un saké singulier élaboré avec du houblon. Arômes de litchi et de muscat. 42,50 €(1).
5 Kenbishi Kuromatsu (17 %)
Saké traditionnel (blend) issu de l’assemblage de sakés vieillis plusieurs années. A boire tiède, riche et sec. 29,90 € (90 cl) (1).
6 Masumi Sparkling Origarami (12 %)
Sparkling au profil lactique et de fleurs blanches. Salin et très frais. 45,90 €(1).

7 bouteilles à découvrir
© / SDP
1 Hakkaisan Snow Aged 3 Years (17 %)
Vieillis trois ans dans une cave de neige, ce junmai daiginjo est un must. Jus de poire et gelée de rose flattent les papilles.75 €(2).
2 Saké de Bordeaux Pétillant (12 %)
Le dernier né des sakés made in France. Très suave et floral (rose). 35 €(3).
3 Kay Sake (15,8 %)
Nouveau venu sur le marché français, ce junmai daiginjo offre une texture crémeuse, des notes de pomme verte, de poire et de melon. 44 €(4).
4 Miyasaka Miyamanishiki Itinéraires (15 %)
Richesse aromatique et pureté pour ce fruité junmai ginjo. 33,90 €(1).
5 The Green Wolf Seiun (8 %)
Le nigori créé par Eva Green, un saké pétillant naturel aux douces notes florales et d’agrumes. 45 €(5).
6 Maison du saké Yuji (7,3 %)
Un saké moderne, très léger, brassé à Kobe. 19,90 €(1).
7 Maison Miyashita Ichiban Shizuku (15,4 %)
Tous les fruits du verger s’expriment dans ce junmai ginjo frais et gourmand. 29,90 €(6).
- Disponible à la Maison du Saké
- Disponible sur shop.galeriekparis.com
- Disponible sur sakedebordeaux.com
- Liste cavistes sur maisonvillevert.com
- En exclusivité à La Grande Épicerie de Paris (38, rue de Sèvres, Paris VIIe/80, rue de Passy, Paris XVIe ; lagrandeepiceriie.com)
- Disponible sur whiskiesdumonde.fr

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