La "Pax Silica" n’est pas une provocation américaine, c’est un miroir tendu à l’Europe

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La nouvelle doctrine de sécurité américaine publiée le 4 décembre a fait couler beaucoup d’encre en Europe. Et pour cause, celle-ci n’est plus considérée comme un allié stratégique global naturel mais comme un partenaire à géométrie variable : utile quand elle agit, secondaire quand elle hésite, contournée quand elle bloque. Le critère décisif n’est plus l’alignement des valeurs mais la capacité à produire des résultats tangibles. Une semaine plus tard, Washington a fait la démonstration de ce que signifie, concrètement, cette nouvelle approche, en annonçant, le 12 décembre, la Pax Silica. Peu commentée en Europe, cette initiative se lit comme la traduction opérationnelle de la vision américaine de la puissance au XXIe siècle.

On le sait, les États-Unis de Donald Trump ne croient plus aux grandes architectures abstraites. Ils croient aux chaînes de valeur, aux points de blocage, aux rapports de force. Pax Silica, initiative lancée par Washington pour sécuriser le silicium, les semi-conducteurs, en bref toute la chaîne de valeur de l’intelligence artificielle, en est l’illustration la plus nette. Ce n’est ni un traité, ni une institution ni une vision du monde. C’est un instrument.

Le principe est limpide : les technologies critiques sont devenues des infrastructures de sécurité nationale. Celui qui contrôle les minerais, les machines, l’énergie et le calcul contrôle la puissance. Pax Silica vise donc à verrouiller ces maillons clés entre pays jugés fiables sans chercher l’universalité, avec, pour commencer le Japon, la Corée, Singapour, Israël, les Pays-Bas, les Emirats et le Royaume-Uni. Des partenaires, des intérêts, des résultats, tels sont les ingrédients de cette nouvelle diplomatie du silicium : sécuriser les minerais critiques, les équipements de lithographie, les usines, l’énergie, le calcul, et, au bout, l’intelligence artificielle. Loin des grandes professions de foi, on verrouille des projets entre pays "de confiance". C’est brutal ? Oui. C’est contestable ? Souvent. C’est efficace ? C’est précisément l’objectif.

L’Amérique, au fond, ne change pas. Elle révèle. Elle révèle ce que l’Europe refuse encore de regarder : la technologie n’est plus un secteur, c’est une infrastructure de sécurité nationale. Les puces ne sont pas un produit, ce sont des capacités militaires, industrielles, politiques. L’énergie n’est pas un secteur industriel parmi d’autres, elle est le nerf de la guerre. Et le mot "dépendance" n’est plus un concept de think tank mais un risque stratégique, mesurable, exploitable, monnayable.

Trois options pour l’Europe

Washington cherche la stabilité par la maîtrise des maillons critiques. Et il fabrique, pour cela, des alliances ad hoc, sujet par sujet, sans grand récit. La recette appliquée est exactement la même que celle qui prévaut dans la reconquête du nucléaire civil, avec les partenariats conclus avec la Corée et le Japon pour aller plus vite et plus fort. Pax Silica transpose ce logiciel au cœur du numérique : on s’associe pour produire, pas pour organiser des sommets ou élaborer des stratégies.

Invitée, comme chacun de ses membres, à rejoindre cette alliance, que va faire l’Europe, elle qui parle volontiers d’"autonomie stratégique ouverte" ? Elle a l’occasion de transformer un concept en mines, en projets et en usines : Pax Silica est un test grandeur nature.

Trois options s’ouvrent à elle, et aucune n’est confortable. Refuser Pax Silica par principe, au nom d’un multilatéralisme rêvé, c’est choisir la pureté et perdre la partie. S’aligner sans conditions, c’est se transformer en marché captif d’une architecture américaine qui, elle, n’aura jamais de scrupules à défendre ses intérêts. Reste la seule voie adulte : participer, mais à nos conditions ; coopérer, mais en exigeant la réciprocité ; entrer dans les coalitions qui renforcent réellement notre base industrielle, au lieu de la remplacer par des communiqués.

Cela implique de trancher. De financer. De simplifier. De construire. Des mines et du recyclage, certes. Mais aussi de l’énergie pilotable, des réseaux, du nucléaire là où il est pertinent, des centres de données, des ingénieurs, des usines. Et surtout une méthode : arrêter de confondre "stratégie" et "déclaration". Les Américains montent des clubs parce qu’ils veulent des résultats rapides ; à l’Europe de monter des coalitions de production, non pour "faire comme eux", mais pour ne plus dépendre d’eux quand nos intérêts divergent. Pax Silica n’est pas une provocation américaine ; c’est un miroir tendu. Et la seule question valable, celle qu’on évite par paresse idéologique, est la plus simple : qu’est-ce qui marche ?

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